L'AFFAIRE DE PONT-SAINT-ESPRIT
Le projet MK-ULTRA en France
Quand la CIA menait des expériences sur des cobayes français
LSD sur village francais 1954 Archive de l'ORTF
Peu après
l’incident, en septembre 1951, des scientifiques
écrivant pour le très respecté British
Medical Journal déclarèrent que la «
vague d’empoisonnements » était le
résultat d’une intoxication à
l’ergot de seigle. Cette explication ne se basait
cependant que sur les conclusions des biochimistes
envoyés sur place par les laboratoires Sandoz
situés non loin de là, à Bâle
(Suisse). Parmi les membres de ce contingent figurait le
docteur Albert Hofmann, premier scientifique à avoir
synthétisé le LSD le 16 novembre 1938.
Au moment de la visite du groupe de Sandoz à Pont-Saint-Esprit, seuls quelques scientifiques dans le monde, pas plus de huit ou dix, étaient informés de l’existence de LSD de synthèse. En outre, et c’est là un fait aussi, voire plus important, pour ainsi dire personne dans la France de 1951, en dehors de quelques responsables chez Sandoz, ne savait que cette société menait des activités secrètes et en étroite collaboration avec la CIA. Sandoz fournissait non seulement d’importantes quantités de cette drogue à la CIA, mais conseillait également le service sur ses utilisations potentielles, défensives ou offensives, notamment en vue des expérimentations secrètes aux Etats-Unis et en Europe. Pour résumer la longue explication développée dans mon livre, l’intoxication de Pont-Saint-Esprit était le résultat d’une expérience menée conjointement par l’Army et la CIA dans le cadre du Projet MK/ULTRA. C’est en effet précisément le département que le Docteur Frank Olson dirigeait, la Division des opérations spéciales de Fort Detrick, qui supervisa l’expérience française. Voir : Projet MKULTRA MONARK |
Il me paraît
important de préciser que l’intrigue
générale autour du mystère de
Pont-Saint-Esprit m’est apparue remarquablement nette
et cohérente, mais également assez choquante,
et je ne suis pas facile à choquer. Après une
enquête plus approfondie, tout le scénario
s’est révélé être encore
plus remarquable dans ses détails subtils et sa
nature manifeste.
Même aujourd’hui, un site internet du département de la Justice avertissant des dangers du LSD déclare qu’au début des années 1950, « la Sandoz Chemical Company alla jusqu’à promouvoir le LSD comme arme chimique secrète potentielle auprès du gouvernement U.S. Leur principal argument était qu’une petite quantité de cette drogue versée dans le système d’approvisionnement en eau, ou pulvérisée dans l’air est susceptible de désorienter et rendre psychotique toute une division militaire, la rendant inoffensive et incapable de combattre. » Sans parler, bien entendu, d’une bourgade ou d’une ville entière. De fait, en creusant plus en avant dans l’histoire, je découvris un jour des documents secrets du FBI révélant que la Division des opérations spéciales de Fort Detrick avait, un an avant l’expérience de Pont-Saint-Esprit, pris pour cible de réseau souterrain du métro new-yorkais dans le cadre d’une expérience similaire. Comme l’indique une note du FBI datée d’août 1950, « Les expériences de guerre biologique devant être réalisées par des représentants du Département de l’Army dans le réseau de métro souterrain new-yorkais en septembre 1950 ont été repoussées jusqu’à une date indéfinie. ». Lorsque je discutai de cette note avec des anciens biochimistes de Fort Detrick, ils m’informèrent confidentiellement que les expériences de New York « étaient repoussées jusqu’au terme de l’expérience devant être menée en France. ». Un ancien scientifique de la Division des opérations spéciales ajouta : « Les résultats globaux de l’expérience dans le Sud de la France ont été positifs, mais nous avons également constaté un effet indésirable, ou ce qu’il conviendrait maintenant d’appeler une réaction du "cygne noir". Nous n’avions absolument pas prévu que plusieurs personnes mourraient. L’expérience ne devait pas aboutir à cela, alors elle a été renvoyée au bureau d’étude. » Les mêmes scientifiques confirmèrent que suite à l’expérience de Pont-Saint-Esprit, la Division des opérations spéciales de Fort Detrick se rendit de nouveau à New York en 1956 pour réaliser les expériences dénommées opérations Big City et Mad Hatter (« le cinglé »). Il s’agissait de projets secrets impliquant la pulvérisation de produits chimiques sous forme d’aérosols au travers du pot d’échappement d’une automobile conduite autour de New York par la CIA et des scientifiques de l’Army. Avant cela, en 1952 et 1953, des expériences plus limitées furent menées dans des wagons du métro new-yorkais par George Hunter White, un agent du Bureau fédéral des narcotiques travaillant secrètement comme agent de la CIA. À au moins deux reprises, White fit détonner des engins à aérosols spécialement conçus et remplis de LSD. La CIA détruisit les rapports écrits de White traitant de ces expériences en 1973. En remontant un peu en arrière dans le temps, je découvris la véritable cause de l’intoxication du Sud de la France : une note d’un informateur confidentiel de la CIA qui m’avait été remise en 1999 constitua la première preuve solide en ma possession indiquant que quelque chose n’était pas clair à propos de l’incident. Ce rapport, daté de décembre 1953, relatait une rencontre entre l’informateur non identifié et un responsable de la Sandoz Chemical Company à New York. L’informateur écrivait qu’après « avoir bu plusieurs verres », le responsable de Sandoz éructa : « Le "secret" de Pont-Saint-Esprit était que le pain n’était pas du tout en cause. », avant de poursuivre : « Pendant des semaines les Français assignèrent nos laboratoires à des analyses de pain. Il ne s’agissait pas de l’ergot de seigle, mais d’un composé de type diethylamide. » Le responsable entendait bien entendu par là qu’une drogue synthétique était à l’origine de la vague de folie de Pont-Saint-Esprit. Selon son propre rapport, l’informateur de la CIA demanda alors : « Si la substance n’était pas dans le pain, alors comment est-elle arrivée dans l’organisme des gens ? » À cela le responsable répondit : « Une expérience. » Soudainement préoccupé, l’informateur interrogea : « Une expérience ? ». Et le responsable de Sandoz rétorqua de façon dérobée : « Peut-être le gouvernement français, » sachant que l’informateur états-unien connaissait probablement bien l’identité des véritables auteurs de l’expérience. Ce fut, en somme, une grande scène de comédie politique et de subterfuge qui se conclut par ces mots du responsable de Sandoz : « Une raison secondaire expliquant ma présence ici aux Etats-Unis est que je dois me débarrasser de notre LSD. Si la guerre éclate notre LSD disparaîtra. ». L’indice que je découvris ensuite, dans la chaîne des preuves, était un document non daté de la Maison-Blanche faisant a priori partie d’un dossier plus large qui avait été remis aux membres de la Commission Rockefeller formée en 1975 par le président Gerald Ford pour enquêter sur les pratiques abusives de la CIA. Le document contenait les noms de deux ressortissants français ayant secrètement émargé à la CIA, et faisait directement référence à « l’incident de Pont-Saint-Esprit », reliant en outre un ancien expert de la CIA en guerre biologique et le chef de la Division des opérations spéciales de Fort Detrick. Ce document, conjointement à un autre, constituait d’après moi la preuve irréfutable. En 2005, un reporter du quotidien Baltimore Sun, Scott Shane, qui travaille maintenant au New York Times, écrivait : « L’[U.S.]Army n’a aucun dossier sur MK/NAOMI ni sur la Division des opérations spéciales [de Fort Detrick]. » Lorsque Scott, puis moi-même, avons demandé les dossiers pour les deux, l’Army répondit qu’elle « ne pouvait en trouver aucun ». En 1973, la CIA détruisit toutes ses archives sur MK/NAOMI et son travail avec la Division des opérations spéciales de Fort Detrick. L’une des raisons évoquées pour cette destruction, expliqua la CIA, était que « les gens ne comprendraient pas ou interpréteraient mal les raisons ayant poussé l’agence à réaliser beaucoup de ses projets. ». Lorsque le reporter Shane pressa un ancien officier de haut rang de la Division des opérations spéciales d’évoquer les projets antérieurs de la division, Andrew M. Cowan Jr. répondit « je ne donne tout simplement pas d’interview sur ce sujet. Cela doit au moins rester classifié pour éviter que ces informations se retrouvent entre les mains d’un agité. » |
Selon la presse états-unienne, suite à la parution du livre d’Hank Albarelli, Erard Corbin de Mangoux,
directeur de la DGSE, aurait adressé une demande d’explication au départment d’Etat.
Plus haut dans
l’article, j’ai écrit que
l’expérience de Pont-Saint-Esprit me choqua au
premier abord. Par bien des aspects, j’éprouve
toujours ce sentiment. Mais peut-être pas pour toutes
ces raisons que beaucoup de lecteurs imagineraient. Tout
d’abord, je suis choqué lorsque je lis sur
internet des réactions à ce sujet tel
qu’il est traité dans mon livre, comme par
exemple « Et alors, au moins ils ne l’ont pas fait
dans une petite ville d’Amérique », ou pire
encore, « Pourquoi n’ont-ils pas choisi une ville
du Mexique ; c’est plus proche ? ».
Je suis attristé de constater que certains États-uniens sont devenus blasés et insensibles aux actions arrogantes et horribles de la CIA par le passé. La torture est maintenant approuvée aux États-Unis par une grande partie de la population. Certains États-uniens mieux intentionnés affirment prier pour un retour à « Un pays dont le gouvernement honorait, respectait et observait les droits humains, et les lois et traités internationaux », protégeant les prisonniers de guerre, les combattants ennemis et les prisonniers, or en vérité tout examen objectif et sérieux de l’histoire de la Guerre Froide aux États-Unis met systématiquement en lumière de nombreuses instances d’horrible maltraitance des détenus et prisonniers étrangers. Le Projet ARTICHAUT de la CIA, mis en oeuvre au cours des années 1950 et 1960, a soumis de nombreux prisonniers étrangers et d’agents doubles présumés à des traitements barbares, dont des électrochocs, des lobotomies et des chocs d’insuline provoqués par des drogues. D’innombrables citoyens états-uniens disparurent des rues de New York et San Francisco pour être victimes d’expériences secrètes uniquement parce qu’ils faisaient partie de groupes minoritaires ; pauvres, paumés, criminels ou perçus comme tels, prostitués. Nombre d’entre eux subirent des séquelles physiques et mentales permanentes en conséquence de ces expériences. On administra du LSD à près de 6 500 soldats états-uniens, à leur insu, dans les années 1950 et 1960. Beaucoup parmi eux ont dû vivre en permanence avec ces souffrances, d’autres se sont suicidés. En 1953, un ressortissant étranger fut emprisonné et torturé huit mois durant, au Panama, par la CIA simplement parce qu’il était soupçonné de collaborer avec des responsables du renseignement français. Par la suite, il est bien probable que la CIA ait assassiné ce même homme après qu’il eût anonymement révélé à un journaliste qu’il connaissait l’identité du commanditaire de l’assassinat du président John F. Kennedy. |
SOURCES ET LIENS |
Article exclusif. Version française : Réseau Voltaire |
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